Mesopotamia : Une aventure patrimoniale en Irak

Par Ahmed Al-Rubaye,

Le livre La Mésopotamie: Une aventure patrimoniale en Irak du journaliste et photographe, Pascal Maguesyan, publié en 2020, offre au lecteur un témoignage vivant du riche patrimoine culturel et historique de l’Irak, autrefois connu sous le nom de “Mésopotamie”. Il ne s’agit pas d’un recueil d’événements historiques, mais plutôt d’une exploration des strates profondes de l’histoire de l’Irak, de son patrimoine culturel et artistique légué par les civilisations antiques, des Sumériens aux Babyloniens et toutes celles qui ont suivi. Il s’agit donc autant de l’histoire de l’Irak que de l’histoire universelle comme l’a montré la conférence prononcée par l’auteur lors du séminaire Patrimoines et politiques mémorielles, le 21 novembre 2024.

Mesopotamia, Une aventure patrimoniale en Irak

L’héritage culturel et historique : une terre entre deux fleuves

L’Irak contemporain est né dans une région connue sous le nom de Mésopotamie. Elle est le berceau de nombreuses civilisations antiques qui ont joué un rôle majeur dans la formation de l’histoire de l’humanité. De Sumer à l’Assyrie, de Babylone aux Sassanides, cette région a joué un rôle fondamental dans la naissance de l’écriture, de l’architecture, des arts et des religions. Ces civilisations ne se sont pas limitées à créer des structures de savoir, mais elles ont également posé les fondements de concepts humains qui se sont développés à travers le monde.

L’Irak n’est pas simplement un point de rencontre entre les fleuves Tigre et Euphrate, mais c’est une terre qui témoigne d’une diversité culturelle et religieuse étonnante. Le livre montre comment cette terre, qui a été au fil des âges un terrain de confrontation des civilisations, a également eu la capacité de devenir un creuset où se sont fusionnées des traditions et croyances variées, ce qui en fait une source inépuisable de richesse culturelle et intellectuelle.

L’un des aspects les plus marquants du livre est la diversité religieuse et culturelle qui a dominé l’Irak au fil des siècles. L’ouvrage traite en chapitres séparés des grandes régions que sont la province de Ninive, la région de Mossoul, le Kurdistan d’Irak, la province de Kirkouk, la province de Bagdad. Il met l’accent sur l’histoire des sites religieux : les églises syriaques et chaldéennes, parmi les plus anciennes traces du christianisme au monde, les sites juifs qui portent les empreintes de l’époque babylonienne, ainsi que les sites islamiques et yézidis. Cette diversité religieuse de l’Irak reflète une civilisation jadis fondée sur le respect et l’interaction des différentes religions et croyances.

Ce mélange entre religions et cultures se manifeste de manière évidente dans les arts irakiens, qui ont émergé du croisement entre les éléments religieux et civils. Les sculptures et peintures des églises irakiennes, par exemple, portent en elles des influences sumériennes et babyloniennes. Les symboles géométriques et artistiques tels que les formes rondes et carrées reflétaient une harmonie entre le passé lointain et le présent religieux. De plus, les récits sacrés et les représentations bibliques prenaient une tournure locale distinctive, ce qui les rendait indissociables de la culture irakienne authentique.

Cependant, l’Irak, berceau des grandes civilisations, n’a pas échappé à la persécution dans les temps modernes. En 2014, l’État islamique (Daesh) prend le contrôle de vastes régions de l’Irak et met en œuvre une politique de destruction systématique du patrimoine culturel et religieux antique. Ainsi,  les crimes de Daesh ne se limitèrent pas seulement au massacre et à l’exil des populations. Le patrimoine, les monuments, les sites religieux historiques furent également victimes de cette politique de destruction de l’identité culturelle irakienne.

Les églises chrétiennes de la plaine de Ninive, notamment dans des villes comme Mossoul et Qaraqosh, ont été complètement détruites. Des églises ont été dynamitées et transformées en ruines, effaçant des vestiges historiques et archéologiques inestimables. Les sites yézidis du Djébel Sindjar ont été particulièrement ciblés, avec la destruction de temples et de symboles religieux, sans oublier les massacres qui ont coûté la vie à des milliers de femmes et d’enfants.

Mausolée yézidi de Cheikh Bakeur Al-Qatani à Bahzani (juin 2018). Reconstruit après avoir été détruit à l’explosif par Daesh. Le verger d’oliviers sacrés a été incendié. Sa revitalisation est en cours – Pascal Maguesyan/Mesopotamia

L’objectif de ces crimes n’était pas seulement de tuer et de détruire, mais aussi de tenter d’effacer l’histoire et la culture des peuples qui ont habité l’Irak à travers les âges. Daesh a cherché à anéantir une longue histoire de diversité culturelle et religieuse afin de forcer une interprétation étroite de l’identité religieuse de l’ensemble de la région.

Cependant, malgré ces atrocités, les populations de l’Irak se sont montrées résilientes. Les communautés chrétiennes et yézidies, malgré les massacres, n’ont pas sombré dans le désespoir. Au contraire, elles ont commencé à reconstruire les régions dévastées, reflétant la force de la volonté humaine irakienne pour préserver son patrimoine. Bien que les destructions ont été massives, le patrimoine de ces peuples demeure vivant dans la mémoire culturelle de l’Irak et continuera de faire partie intégrante de son histoire. D’où le préambule de l’ouvrage Mesopotamia  : “Le patrimoine est la clé de voûte de cette aventure. Préserver et renforcer ce lien entre les hommes et leur patrimoine est primordial. C’est aussi un moyen de stabilisation  des populations concernées. Toute communauté humaine arrachée à son patrimoine est comme un arbre auquel on coupe les racines”.

Chrétiens et les Yézidis, pierres angulaires de l’histoire de l’Irak

L’un des sujets les plus poignants du livre est le rôle historique joué par les chrétiens et les yézidis dans l’histoire de l’Irak. Les chrétiens ont commencé à fonder des églises et des centres éducatifs qui ont constitué le point de départ de la pensée religieuse et scientifique de la région. Les syriaques et les chaldéens, par exemple, ont joué un rôle important dans le développement de la pensée chrétienne en Irak, où ils ont fait des avancées considérables dans les domaines de la philosophie et de la théologie.

Le monastère de Mar Matta (Saint-Mathieu) se situe à 817 mètres d’altitude sur le Mont Maqloub, au nord de la province de Ninive. Pascal Maguesyan.

Monastère Syriaque-Orthodoxe de Mar Matta dans la province de Ninive, intérieur. Pascal Maguesyan.

Quant aux yézidis, le livre raconte les persécutions que cette minorité a subies au cours de l’histoire, le dernier exemple étant le massacre perpétré par Daesh en 2014. Toutefois, il montre également la résilience de ce groupe, qui a su maintenir son identité malgré toutes les épreuves. Historiquement, les yézidis étaient réputés  être les gardiens de la connaissance et des rituels qui les reliaient à la terre de leurs origines, et ont su préserver leur foi même dans des conditions extrêmement difficiles.

Mesopotamia, présentation du quatrième de couverture

L’un des aspects artistiques que le livre traite en profondeur est l’art et les peintures murales dans les églises irakiennes. Ces fresques et sculptures représentent un pont vivant entre le christianisme et les anciennes civilisations, avec des influences profondes de l’art sumérien et babylonien. Les symboles géométriques, tels que les cercles et les carrés, qui étaient prédominants dans l’art sumérien, apparaissent dans les décorations des églises, ce qui reflète l’influence des arts irakiens antiques sur les formations religieuses chrétiennes.

Les peintures qui ornaient les murs des églises symbolisaient également le lien fort entre les anciennes mythologies et la religion chrétienne. Les animaux sacrés des mythes sumériens, tels que le taureau et le lion, étaient souvent représentés dans les décorations, ce qui crée un chevauchement entre les religions et les arts, illustrant une continuité culturelle profonde à travers les âges. Ces sculptures et peintures ne sont pas seulement des ornements esthétiques, mais elles constituent une expression vivante de la relation entre l’homme, la foi et l’art.

Ainsi, le  message véhiculé par le livre est un appel à préserver le patrimoine culturel en tant qu’élément fondamental de l’identité irakienne. Il y est également question de protection et de restauration du patrimoine, une entreprise menée entre autres par l’association Mesopotamia Heritage basée à Lyon. A l’initiative de cette association, le “camion du patrimoine en Mésopotamie” vient de remporter le Prix Pèlerin du Patrimoine chrétien en danger 2024.

Le livre La Mésopotamie : Une aventure patrimoniale en Irak  est donc bien plus qu’un simple récit historique. Il s’agit d’un véritable appel à la reconquête de l’identité culturelle irakienne et à la préservation du patrimoine qui a constitué les piliers de ce pays antique à travers les âges. Ce livre reflète une conviction profonde de la nécessité de préserver cette identité. Dans le contexte des conditions difficiles qu’a traversées l’Irak, notamment après les attaques terroristes menées par l’État islamique contre le patrimoine culturel du pays, cet héritage demeure une partie intégrante du tissu de l’identité nationale irakienne.

En rédigeant ces lignes, mes souvenirs personnels de l’Irak ont ressurgi et je me suis rappelé combien le patrimoine irakien faisait partie intégrante de notre quotidien. Que ce soient les églises qui se dressent fièrement dans la plaine de Ninive ou les vestiges sumériens et babyloniens qui racontent les histoires des ancêtres, ces sites portaient en eux des significations historiques, artistiques et religieuses qui touchaient le cœur de chaque Irakien. Cependant, ce qui s’est passé ces dernières années, la destruction systématique du patrimoine irakien par l’État islamique, a ravivé un souvenir douloureux, celui d’une dévastation que l’Irak n’avait jamais connue auparavant et d’une tentative d’effacement d’une histoire millénaire de diversité culturelle et religieuse. Ainsi, l’ouvrage de Pascal Maguesyan contribue à la mise en œuvre d’une véritable action d’information et de préservation en Irak. Grâce ce livre, ses lecteurs suivent pas à pas les étapes de cette belle aventure patrimoniale.

MESOPOTAMIA, Une aventure patrimoniale en Irak, sous la direction de Pascal Maguesyan, Éditions Première Partie, 2020, 250 pages, 39€.